En pleine pandémie et à la veille de la saison de la construction, la pénurie de matériaux et l’explosion des prix du bois risquent de provoquer l’effet d’un coup de 2×4 sur les projets et le portefeuille des Québécois.

Depuis un an, les prix du bois d’œuvre ont connu des hausses stratosphériques. Les panneaux de bois à copeaux orientés – communément appelés OSB – ont vu par exemple leur valeur bondir de 300 % en 12 mois, selon un récent rapport sur les coûts de construction au pays.

« Ça me paraît beaucoup. Mais compte tenu de l’effet qu’aura eu la pandémie sur le réveil du “Castor bricoleur” chez bien des ménages dernièrement, ce n’est pas impossible », soutient le professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, Luc Bouthillier.

Des constructions en hausse

Et tout indique que cette tendance à la hausse, qui carbure surtout à une hausse sans précédente de l’industrie de la construction au Canada comme aux États-Unis, selon le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CFIQ), risque bien de se poursuivre.

À preuve, le nombre de mises en chantier est en explosion partout au Canada. D’environ 200 000 nouvelles maisons par année normalement, on prévoit cette année entre 225 000 et 250 000 nouveaux chantiers.

Le Québec ne fait pas exception. Il se construit normalement 45 000 maisons au Québec, bon an mal an. On en prévoit cette année pas moins de 60 000. Et selon le plus récent rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, les mises en chantier de février avaient grimpé de 59 % par rapport à la même période il y a un an.

De quoi craindre les excès de l’été dernier, affirment les observateurs. Alors que les chantiers de la province venaient d’obtenir l’autorisation de réouverture, les prix du bois nécessaire à l’érection de terrasses et clôtures sont allés jusqu’à grimper de 600 % dans certaines régions, rappelle Opta, qui tient une veille sur les prix de construction au pays.

L’Europe du Nord en profite

La demande est telle et les prix sont devenus si intéressants pour l’industrie, que des producteurs de pays comme la Suède, la Finlande et plusieurs autres d’Amérique du Sud ont commencé à exporter leur bois aux États-Unis, souligne l’économiste Michel Vincent de la CFIQ. Le Canada pourrait suivre.

Et aux prises avec cette spirale inflationniste, nombre de quincailliers et entrepreneurs en construction, lesquels s’approvisionnent à même les producteurs, ces grandes entreprises de sciage ou leurs distributeurs, n’arrivent plus à garantir leurs tarifs au-delà d’une semaine.

«C’est la chose qui me surprend le moins au monde, soutient le représentant de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction, Richard Darveau. Dans le contexte actuel, c’est là une des seules façons à la disposition des détaillants pour se protéger.»

Une situation qui complique passablement les relations à la fois des entrepreneurs, qui doivent composer avec des tarifs changeants, et des consommateurs, qui doivent essuyer la facture. D’aucuns, découragés, n’auront d’autre choix que de remettre à plus tard.

Reste à comprendre à qui au juste profitent surtout ces hausses de prix. (voir texte plus-bas)

LE SECTEUR FORESTIER AU QUÉBEC

  • Un produit intérieur brut (PIB) de 6 G$ par année, soit près de 2 % du PIB du Québec
  • 60 000 emplois directs, dont 50 000 emplois en transformation du bois
  • Des livraisons manufacturières de plus de 19 G$ annuellement

Source : Gouvernement du Québec

DES GRANDS DU BOIS D’ŒUVRE / PROPRIÉTAIRES DE SCIERIES

  • Produits forestiers Résolu
  • Rayonier Advanced Materials [ex-Tembec]
  • Papiers White Birch
  • Groupe Rémabec
  • Barrette-Chapais
  • Chantiers Chibougamau
  • Commonwealth Plywood

DE GRANDS DISTRIBUTEURS DE BOIS D’ŒUVRE

  • CanWel Building Materials
  • Taiga Building Products
  • Produits forestiers AFA
  • Garon Distribution

DE GRANDS DÉTAILLANTS DE LA QUINCAILLERIE

  • Lowe’s Canada (RONA,Réno-Dépôt)
  • Home Depot
  • Home Hardware
  • Canac
  • Patrick Morin

 

Source : Agence QMI

MAIS QUI AU JUSTE PROFITE DE CES PRIX ÉLEVÉS?

Mais comment en est-on arrivé là ? Et surtout, qui profite au Québec de ces hausses de prix?

«Les consommateurs sont clairement les premières victimes de la situation, affirme le professeur au département des sciences de la forêt de l’Université Laval Luc Bouthillier. Les bénéficiaires sont plus difficiles à identifier. L’industrie forestière est très opaque, vous savez.»

Serait-ce les forestières qui récoltent et transforment le bois des forêts? Les courtiers et grossistes, qui agissent à titre d’intermédiaires entre les scieries et les détaillants? Ou encore les quincailleries, où s’approvisionnent en bois la plupart des consommateurs?

«Je dirais que tout le monde en profite probablement, à différents niveaux. Mais les papetières sont probablement celles qui en profitent le plus», répond le professeur Luc Bouthillier, grand spécialiste de l’industrie du bois au Québec.

Une opinion que partage le nouveau chef de la direction de BMR, Alexandre Lefebvre. «C’est certain que c’est le fabricant, dit-il. La marge du distributeur ou du marchand est restée relativement stable. […] La marge de BMR n’a pas triplé, comme le prix du bois. […] Celui qui profite le plus du contexte, c’est le manufacturier.»

Des années de rattrapage?
Tandis que l’encadrement de l’exploitation de nos forêts par le gouvernement du Québec est fortement remis en question ces jours-ci, la plupart pointent du doigt les grands exploitants des forêts comme principaux responsables et bénéficiaires de ces hausses de prix.

«Il ne faut pas chercher longtemps », affirme le député de Bonaventure, Sylvain Roy, lui-même un «ancien bûcheron». «Je peux vous assurer que ceux qui se remplissent les poches ne sont pas leurs employés et entrepreneurs des régions où ces entreprises opèrent. Ce sont elles qui empochent, et malheureusement sans souci de redistribution.»

Le Conseil de l’industrie forestière du Québec admet que l’industrie bénéficie du contexte. «Oui, l’industrie fait plus d’argent, reconnaît son économiste Michel Vincent, suggérant une période de rattrapage. Que voulez-vous? Le marché immobilier est au rouge vif, tout le monde veut construire.»

À sa défense, il rappelle que l’industrie sort d’un cycle de 12 ans de vaches maigres qui a débuté par la crise des subprimes et de la crise financière qui suivit à partir de 2008.

L’industrie a commencé à se relever 5 ans plus tard, jusqu’à ce qu’en 2019, le prix du 1000 pmp (pied de mesure de planche) atteigne les 500 $, soit le double de son niveau de 2007 à 2009, relate M. Bouthillier.

C’est alors qu’a frappé la pandémie, entraînant une réduction de la production, des délais de transformation et des retards qui eurent pour effet d’amplifier la demande et d’entraîner une nouvelle explosion des prix. Résultat : de 500 $ en 2019, le 1000 pmp avoisine aujourd’hui les 1300 $. Un record.

– Avec la collaboration de Jean-Michel Genois Gagnon

POURQUOI NE PAS DONNER PRIORITÉ AUX QUÉBÉCOIS?

Pourquoi le Québec, qui voit près de la moitié de ses récoltes de bois prendre la route des États-Unis, ne se doterait-il pas de nouvelles mesures pour s’assurer de ne plus souffrir de pénurie de bois comme actuellement?

C’est ce que le député péquiste de Bonaventure, en Gaspésie, Sylvain Roy, a suggéré cette semaine à l’Assemblée nationale, après avoir essuyé un refus du gouvernement caquiste d’initier une commission parlementaire sur la gestion de la forêt.

Le porte-parole du Parti québécois en matière de Forêts juge anormal que les Québécois, qui possèdent collectivement un «potentiel forestier phénoménal», se voient aujourd’hui contraints de subir les conséquences d’une pénurie de bois. Parmi elles, l’explosion des prix et le manque de produits sur les tablettes des quincailliers.

Ça ne tourne pas rond
Sa proposition: la mise en place d’un «Patriot Act», sorte de «clause Québec», par laquelle l’État imposerait à l’industrie que le bois recueilli dans ses forêts publiques desserve en priorité les besoins des Québécois.

«Présentement, le bois nous passe par-dessus la tête pour desservir les Américains, dit-il. Et pendant ce temps, à défaut de mieux ou de disponibilité du bois à prix abordable, nous sommes rendus à devoir utiliser l’aluminium pour bâtir nos maisons. Quand je regarde cela, que je réfléchis à tout ce bois dont nous disposons, je me dis que ça ne tourne pas rond.»

L’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction a semblé séduite par l’idée. Celle-ci a reçu le même accueil de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec, lorsque Le Journal l’a contactée. «Nous vivons un vrai problème d’approvisionnement, insiste son PDG, Éric Côté. Est-ce qu’on va finir par devoir importer du bois pour remplacer celui d’ici que l’on vend à l’étranger?»

 

Source: Hausse de 300% des prix du bois | TVA Nouvelles